Musical 'Al Capone' annulée à Paris malgré succès public : conflit créatif entre Alagna et producteur
nov., 24 2025
Le 48e spectacle de 'Al Capone' au Théâtre des Folies-Bergère s’est terminé comme les 47 précédents : par une ovation debout, des larmes, et un silence respectueux. Puis, sans avertissement, la lumière s’est éteinte pour de bon. Ce n’était pas une fin naturelle. C’était un arrêt brutal, imposé par des décideurs qui ne voulaient plus du spectacle — pas parce que le public l’avait rejeté, mais parce qu’ils ne le reconnaissaient plus. Al Capone, ce musical écrit sur mesure pour Roberto Alagna par Jean-Félix Lalanne, a été suspendu en janvier 2025 après seulement 48 représentations sur 90 prévues, alors que la salle était pleine à craquer chaque soir, avec des critiques élogieuses et un public en transe. La vérité ? Ce n’est pas l’argent qui a tué le spectacle. C’est la peur.
Un spectacle aimé, mais jugé « trop dangereux »
Selon Alagna dans un entretien avec Operawire, le cœur du problème était narratif. « On nous a dit que le spectacle donnait une mauvaise image des femmes en 2023 », raconte-t-il, les yeux encore brillants d’indignation. « Al Capone était un homme bon. Il protégeait sa fiancée, sa sœur. Eliot Ness, lui, était l’anti-héros. C’était un Romeo et Juliette à Chicago. » Le producteur a exigé une refonte complète : transformer Al Capone en monstre dominé par les femmes, un anti-héros victime de leur manipulation. Une inversion radicale, qui détruisait toute l’âme du récit. Lalanne a refusé. Alagna a dit non. Et le producteur a coupé les fonds. « C’était ça ou rien », résume-t-il. « Alors, c’était rien. »Les chiffres qui mentent : un succès caché
Le Monde a pourtant avancé une autre explication : « manque de public et de revenus ». Une version qui ne tient pas debout. Les places étaient vendues depuis des semaines à l’avance. Les réseaux sociaux explosaient de témoignages émus. Des familles entières venaient voir le spectacle. Des étudiants en musique y retournaient trois fois. Et pourtant, selon Alagna, le théâtre a menti aux financeurs. « Ils ont dit qu’on ne vendait pas assez pour justifier les coûts de production », raconte-t-il. « Mais ils n’ont jamais voulu montrer les chiffres réels. » La vérité ? Le spectacle coûtait cher. Le Morphing Chamber Orchestra, dirigé par Giorgio Croci, était composé de 35 musiciens. Les costumes, les décors, les effets sonores — tout était conçu comme un film musical. Et puis, il y avait le rythme infernal : sept représentations par semaine, dont deux le samedi et une matinée le dimanche. « C’était épuisant », admet Alagna. « Mais chaque soir, je sentais que j’étais en train de faire quelque chose d’unique. »Une famille sur scène, une bataille en coulisses
La force du spectacle venait aussi de sa famille. La femme d’Alagna, la soprane polonaise Aleksandra Kurzak, incarnait la fiancée d’Al Capone. Bruno Pelletier, Anggun, Thomas Boissy — tous étaient au top. Et pourtant, ce n’était pas une simple production. C’était une œuvre d’art faite avec l’âme. Lalanne avait composé chaque note en pensant à la voix d’Alagna, à sa manière de raconter une histoire. « Il m’a écrit comme on écrit à quelqu’un qu’on aime », confiait Alagna. « Quand il a entendu que l’histoire allait changer, il a pleuré. »Un album, une tournée, et un héritage qui persiste
Même si le spectacle a disparu, sa musique vit. Un album contenant 21 chansons issues du musical a été publié le 20 septembre 2024, avec une version vinyle collector. Et dès le 5 janvier 2025, Alagna a lancé une tournée intitulée Hors-la-loi, qui propose une sélection des morceaux les plus puissants du spectacle. Vingt dates, de Paris à Lyon, en passant par Marseille et Genève, où il a récemment chanté Fedora avec Kurzak. « Ce n’est pas une reprise », insiste-t-il. « C’est un hommage. Ce que nous avons créé n’a pas été tué. Il a juste changé de forme. »Un artiste qui refuse de disparaître
Roberto Alagna, né le 7 juin 1963, n’est pas un artiste ordinaire. Il a grandi dans une famille d’immigrés siciliens en région parisienne. Il a été rejeté par les milieux classiques pour sa voix « trop populaire ». Il a gagné deux Olivier Awards, mais on l’a toujours traité comme un paria. « Depuis que je suis arrivé de nulle part, certains prédisaient ma fin », dit-il. « Chaque fois, j’ai prouvé qu’ils avaient tort. Et ça continue. » Ce n’est pas seulement un chanteur. C’est un rebelle. Un homme qui refuse de se plier à la norme. Et Al Capone ? C’était son ultime défi : un opéra populaire, sans concession, sans peur. Il a été tué par la peur. Mais pas par le public. Et c’est là que réside la tragédie.Foire aux questions
Pourquoi le producteur a-t-il voulu changer l’histoire d’Al Capone ?
Selon Roberto Alagna, le producteur a cédé à la pression médiatique après des critiques selon lesquelles le spectacle présentait une « mauvaise image des femmes » en 2023. L’idée était de transformer Al Capone en personnage dominé par les femmes, ce qui contredisait complètement l’original, où il était un protecteur et Eliot Ness l’antihéros. Ce changement a été rejeté par le compositeur Jean-Félix Lalanne et par Alagna lui-même, qui y voyaient une trahison artistique.
Le spectacle a-t-il vraiment manqué de public ?
Non. Toutes les représentations étaient complets, avec des réservations souvent faites plusieurs semaines à l’avance. Les réseaux sociaux regorgeaient de témoignages enthousiastes. Le chiffre de « manque de revenus » avancé par Le Monde semble être une justification postérieure pour masquer un conflit créatif. Le coût élevé de la production (orchestre, costumes, décors) et la pression des investisseurs ont probablement poussé le producteur à chercher une sortie honorable.
Qu’est-ce que la tournée « Hors-la-loi » ?
C’est une série de 20 concerts lancée le 5 janvier 2025, où Roberto Alagna interprète les morceaux les plus marquants de Al Capone accompagné par le Morphing Chamber Orchestra. Ce n’est pas une reprise du spectacle complet, mais une hommage musical qui permet de préserver l’héritage de l’œuvre. Des dates sont prévues dans plusieurs villes françaises et en Suisse, avec une présence de sa femme Aleksandra Kurzak sur certaines soirées.
Pourquoi Jean-Félix Lalanne a-t-il refusé de réécrire le spectacle ?
Lalanne avait composé chaque note en pensant à la voix et à l’interprétation d’Alagna, dans un style qui mêlait opéra, jazz et musique de film. Il considérait l’histoire comme une réinterprétation poétique de la légende d’Al Capone, pas une biographie. Changer le personnage principal en victime des femmes détruisait la structure narrative et musicale qu’il avait construite pendant des années. Pour lui, ce n’était plus un spectacle — c’était un mensonge.
Existe-t-il un espoir de revoir Al Capone un jour ?
Alagna espère que le spectacle pourra être présenté en tournée, mais les droits appartiennent désormais au producteur, qui est en conflit avec le compositeur. Sans l’accord de Lalanne, aucune reprise n’est possible. Même si le public le réclame, la version originale est techniquement inaccessibile tant que les parties ne trouvent pas un terrain d’entente. Pour l’instant, seul l’album et la tournée Hors-la-loi permettent de vivre cette œuvre.
Quel est l’impact de ce retrait sur le théâtre musical français ?
Ce cas est révélateur d’une tendance inquiétante : la préférence pour des œuvres « sécurisées » et politiquement correctes au détriment de la créativité audacieuse. Al Capone était un projet risqué, mais sincère. Son retrait envoie un message aux artistes : faites des spectacles qui ne dérangent pas, même si c’est banal. Ce qui se passe à Paris pourrait décourager d’autres projets ambitieux, surtout ceux qui osent réinventer l’histoire ou les personnages historiques avec une touche humaine.